Élie Marion

le vagabond de Dieu (1678-1713)

 

par Jean-Paul Chabrol, Professeur à l'IUFM de Marseille

A Dantzig, en octobre 1712, quatre hommes sont arrêtés. Ils viennent de Stockholm et sont accusés d'être des espions du Roi de Suède, Charles XII, en guerre contre le roi de Pologne. Pendant sept mois, ils seront durement emprisonnés, parfois privés de nourriture, puis expulsés. Parmi eux, un certain Élie Marion, natif de Barre, en Cévennes, un bourg du Bas-Gévaudan. Que pouvait bien faire cet homme en ces contrées froides et brumeuses, si loin des Cévennes, en compagnie de personnages dont le comportement intriguait toutes les polices d'Europe ?
Les quatre hommes étaient prophètes et parcouraient, depuis 1711, l'Europe, invitant sur leur passage, les " peuples " à écouter leurs prophéties qu'un d'entre eux notait dans un cahier, quasiment au jour le jour. Curieuses et extravagantes paroles. On comprend, à la lecture des ouvrages qu'ils nous ont laissé, la perplexité et le soupçon des autorités qui les voyaient traverser leur territoire. Certes les quatre voyageurs étaient inoffensifs, pacifiques, dénués de tout, dans la plus grande pauvreté, mais leur comportement était étrange et les propos qu'ils tenaient contre les clergés de toutes confessions les rendaient suspects.
Du mois de juin au mois de décembre 1711, ils parcourent une bonne partie de l'Allemagne, poussent jusqu'à Vienne, puis retournent à leur point de départ, Londres. L'année suivante, ils quittent cette ville pour un nouveau périple européen. C'est à cette occasion qu'ils seront emprisonnés. Relâchés au début du mois de mai 1713, ils traversent l'Europe centrale pour se diriger vers Constantinople. Élie Marion est malade mais tant bien que mal il suit ses compagnons prophétisant irrégulièrement. En août, ils atteignent la capitale turque. La maladie d'Élie empire. Ils décident de revenir. Ils prennent un bateau anglais à Smyrne qui les conduit à Livourne où ils débarquent le 3 octobre. Marion est souffrant. Les quatre hommes sont assignés en quarantaine dans le lazaret de Livourne comme c'était la règle à l'époque par crainte de la peste orientale. Élie est au plus mal mais ses compagnons décident d'aller à Rome, Babylone disent-ils. Ils partent le 24 novembre. Élie reste seul à Livourne. Le 29 novembre, il meurt. Il avait 35 ans seulement.
Singulière est l'aventure de ce cévenol. Élie Marion est né à Barre le 31 mai 1678. Son père était ménager, c'est-à-dire paysan assez riche pour faire travailler ses terres par un fermier ou un métayer. La famille est protestante depuis 1560 au moins.
Des documents jusque là inédits apportent quelques lueurs sur l'origine de cette famille. Elle est originaire de Saint-Germain-de-Calberte. Claude Marion, fils de Jean, s'est installé à Barre dans la première moitié du XVIème siècle peut-être à l'occasion de son mariage avec Lucie Pons, une barroise. De ce mariage naissent deux enfants Jean et Anne.
Ce Jean Marion est maréchal-ferrant. Il épouse Anne de Pierredon (ou de Puechredon). Le couple teste en 1638. Leurs testaments permettent de connaître leurs cinq enfants, ceux du moins qui étaient encore vivants à cette date. Dans l'ordre: Louise, épouse d'Antoine Valmalle, natif du Masbonnet (mariage en 1624); Judith, épouse de François Bolomier (chirurgien) depuis 1626; Jacques; Jean et enfin Élie, le grand-père paternel de notre prophète. Ces alliances permettent aux Marion d'accéder à la notabilité. Ils font partie du consulat (ancienne forme de notre municipalité) et participent aux activités religieuses du consistoire.
Au moment de la Révocation de l'Édit de Nantes (1685), Élie avait 7 ans. Comme beaucoup de jeunes cévenols, il va être traumatisé par l'abjuration collective des populations cévenoles. Abjuration soudaine, brutale, massive, sous la menace des terribles dragons envoyés par Louis XIV. Mais ses parents dans le secret de leur maison ne désarment pas et résistent. Élie comme les autres enfants étaient obligés d'aller à l'école tenue par le curé du village. Mais une fois à la maison, sa mère, Louise Parlier, et son père prennent un soin particulier à "défaire " ce que le curé avait enseigné. Ces années sont décisives pour Élie. Jamais, il n'acceptera d'être catholique. Au contraire, son aversion de ce qu'il nomme l'hérésie ne cessera d'augmenter.
Mais le jeune homme doit songer à son avenir. Il fait des études de droit à Toulouse d'abord puis à Nîmes. Visiblement, il se destinait à être notaire ou homme de loi comme il y en avait beaucoup en Cévennes. Il est l'aîné de la famille et son père porte un soin particulier à son éducation qui lui permettra, espère-t-on, d'accroître la fortune et l'honorabilité de la famille.
C'était sans compter avec les événements religieux qui allaient secouer les Cévennes. Élie a 23 ans quand la vague du prophétisme déferle avec violence sur les Cévennes gévaudanaises (automne 1701). Le jeune homme est ébranlé par la vision de ces jeunes prophètes qui à Barre et dans les environs appellent à la repentance puis peu à peu à la violence contre ceux qui persécutent les protestants. Élie, quand il est à Barre en vacances, ne cesse alors de fréquenter, dans les déserts, les assemblées religieuses tenues par les prédicants. Sa famille est menacée par l'abbé du Chaila. Ses deux frères, Pierre et Antoine, sont touchés par la contagion prophétique et deviennent des "inspirés" .
Ni Élie, ni ses frères ne participent directement à l'assassinat de l'abbé du Chaila. Toutefois sa famille est suspecte aux yeux des autorités. C'est au début du mois de janvier 1702 qu'Élie est touché par ce qu'il appelle l'Esprit divin. Désormais il est prophète et le restera jusqu'à sa mort. Au mois de février ou de mars, il se décide à rejoindre les camisards. Sa famille est alors menacée par les soldats. Elle abandonne ses biens et se réfugie au désert. C'est ainsi que sa mère décédera dans un creux de rocher aux environs de Peyroles (près de Saint-Jean-du-Gard).
Élie partage la vie vagabonde et dangereuse des Camisards. Ce n'est pas un chef de premier rang. Son action est essentiellement religieuse. Mais étant un des rares intellectuels parmi ces combattants, les chefs camisards utilisent ses capacités à partir du moment où ils sont contraints de traiter avec les autorités régionales. C'est ainsi que Marion participe aux deux capitulations qui vont mettre progressivement fin au combat. En 1704 a lieu la première capitulation. Marion quitte le Languedoc en novembre pour gagner Genève où il demeure jusqu'au mois de février 1705. Au début du mois de mars il est de retour à Alès mais les camisards sont obligés de se rendre une seconde fois. Marion quitte alors définitivement la France au mois d'août 1705 et se rend de nouveau à Genève où il retrouve son père, son frère Pierre et sa sœur Louise qui étaient sortis du royaume en 1704. Les relations de ces cévenols exilés avec les pasteurs de Genève ou même français réfugiés ne sont pas bonnes. Ces derniers se méfient des prophètes et condamnent leurs propos qui s'écartent de l'orthodoxie calviniste genevoise.
Marion quitte Genève en novembre 1706 toujours sur une inspiration de l'Esprit. Après être passé par Berne et La Haye, il arrive à Londres au mois de septembre. Son arrivée coïncide avec de nombreuses inspirations. Une nouvelle fois, les relations avec les pasteurs de la colonie française réfugiée à Londres sont particulièrement mauvaises. Avec trois autres cévenols, il est à l'origine d'une " fraternité " religieuse que les Anglais vont très vite appelés les French prophets (Prophètes français).

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