La canonisation avortée de l’abbé du Chaila

Photo Alain Gas (Presses du Languedoc)

Note : ce texte est le résumé d'une communication qui sera présentée dans le cadre du colloque du tricentenaire de la guerre des Camisards, les 25 et 26 juillet 2002, au Pont-de-Montvert. Les principaux textes (Mingaud, Rescossier, L'Ouvreleul, et, plus près de nous, Albert Solanet et le dossier réuni à l'évêché de Mende en vue d'un éventuel procès de canonisation) seront analysés et cités en détail dans cette communication.

Depuis des siècles, l'Église catholique a mis au point une procédure complexe, le procès de canonisation, destinée à porter sur ses autels, et à offrir à la vénération des fidèles, des hommes et des femmes remarquables par leurs mérites, leurs sacrifices ou les prodiges que Dieu a pu accomplir par leur entremise. Cette procédure comporte, pour résumer très schématiquement, deux étapes principales : la béatification (l'intéressé est proclamé " bienheureux "), puis la canonisation (il est proclamé " saint "). L'Église orthodoxe proclame également des saints, alors que les Églises issues de la Réforme ont éradiqué un tel culte.

L'accession à la sainteté peut emprunter bien des voies ; le martyre, ou don de sa vie au nom de Dieu, est depuis toujours l'une des plus " assurées ", si l'on peut dire. À l'époque moderne, le martyre peut être le fait soit de victimes du protestantisme, soit de missionnaires tués sur des scènes lointaines en haine de la foi chrétienne. La principale difficulté, pour l'Église et d'abord pour le postulateur de la cause (le prêtre ou religieux chargé de réunir une documentation et de la défendre à Rome), consiste à bien cerner la cause de la mort : le candidat aux autels doit vraiment avoir été tué en haine du christianisme, et non, par exemple, pour des raisons politiques. Or il n'est pas toujours facile de distinguer entre le religieux et le politique : ainsi, les trop nombreux prêtres, religieux et religieuses assassinés pendant la Guerre d'Espagne, l'ont-ils été seulement en haine du christianisme, ou parce que dans l'esprit de leurs meurtriers ils étaient étroitement associés à un ordre social et politique injuste et à une insurrection militaire, celle du général Franco, qu'ils avaient quelque raison de détester ? On sait que l'Église catholique actuelle a tranché, et béatifié à deux reprises des " martyrs " de la guerre civile (122 en octobre 1992, 233 en mars 2001).

La situation se posait, pour l'abbé du Chaila, mutatis mutandis, dans des termes un peu similaires. Ses assassins avaient-ils visé en lui le seul prêtre, et, au-delà, le catholicisme ? On pouvait alors le proclamer martyr. Ou avaient-ils visé aussi, ou d'abord, l'inspecteur des missions des Cévennes au diocèse de Mende, son titre officiel depuis 1686, c'est-à-dire un homme directement lié au pouvoir royal et à la répression politique et militaire ? La réponse, pour l'historien, ne fait guère de doute : c'est parce qu'il venait de faire arrêter une poignée de jeunes gens et leur guide, dont le seul crime était de chercher à gagner les pays du Refuge, que les premiers camisards s'en sont pris à l'abbé. C'est bien l'homme de la répression royale, non le prêtre, qu'ils ont frappé, même si les premiers jours de la révolte sont consacrés à l'assassinat d'autres ecclésiastiques, dramatiquement (et souvent réellement) associés à la persécution antiprotestante dans l'esprit de leurs justiciers. Du côté des catholiques, en revanche, la tentation était forte, et assez légitime dès lors qu'on entre dans leur logique, de voir en l'abbé du Chaila un martyr de sa foi - d'autant plus que, jeune prêtre, il avait gagné le Siam avec l'abbé de Choisy, et pouvait donc se targuer d'une (très modeste) expérience dans les missions étrangères, ce que l'Église appréciait de plus en plus.

L'abbé du Chaila a-t-il connu, de son vivant ou au lendemain de sa mort, ce que l'on appelle une " réputation de sainteté ", qui est presque toujours le point de départ d'un procès de canonisation ? Il n'est pas facile de le dire. On sait qu'il n'a jamais fait l'unanimité, y compris au sein du clergé du Gévaudan - ce qui, du reste, ne prouve rien pour l'objet qui nous occupe. On ne sait rien, en revanche, de ce que pensaient de lui les catholiques des Cévennes ou du reste du diocèse - ce qu'en pensaient les protestants n'entre pas directement en ligne de compte. Sa mort, en revanche, est immédiatement rapportée, par divers chroniqueurs catholiques, d'une manière qui ne saurait tromper : le choix des anecdotes, les dialogues reconstruits, les expressions retenues, participent bien d'un travail hagiographique, destiné à nourrir une réputation ou à aller même un peu au-delà. Les relations de l'abbé Mingaud et de l'abbé Rescossier, qui furent parmi les plus proches compagnons de du Chaila, au temps du séminaire de Saint-Germain-de-Calberte, sont les plus remarquables à cet égard. Mingaud commence par écrire de l'abbé que " son zèle infatigable pour le salut des âmes […] lui avait fait traverser les mers pour annoncer l'Évangile dans le royaume de Siam ". Il affirme que l'abbé était monté dans la chaire de Saint-Julien d'Arpaon, le dimanche 23 juillet 1702, et qu'il y avait parlé de manière bouleversante de la grâce du martyre. Le même jour, ou le lendemain, il eut une discussion avec le même Mingaud et Castanet, le prieur des Balmes (près de Barre) : " Il fit une conférence dont le sujet fut savoir si les martyrs allaient droit au ciel sans passer au purgatoire ; il fut décidé que oui, parce qu'ils expiaient leurs péchés dans leur sang, étant un second baptême. Il semble que le Seigneur lui fit faire ces réflexions pour le fortifier à souffrir celui qu'il endura quelques heures après " (d'après une relation du comte de Morangiès, restée inédite). Tout est en place pour une mort édifiante, telle que la rapporte L'Ouvreleul : Esprit Séguier ayant proposé à Chaila de lui laisser la vie sauve s'il acceptait de suivre les rebelles et de faire parmi eux les fonctions de ministre, l'abbé se serait écrié: " Plutôt mourir mille fois ! " (édition de 1868, I, p. 29). Il est alors massacré. Le sacrifice de la vie plutôt que l'apostasie : le martyre ne saurait être mieux établi. Plus haut dans le Fanatisme renouvelé, L'Ouvreleul rapporte qu'on l'avait informé, au début de 1702, d'un complot en préparation contre l'abbé. Il s'en était immédiatement ouvert auprès de ce dernier, qui avait repoussé l'information, et " continué ses fonctions apostoliques, craignant moins la perte de sa vie que l'extinction de la foi dans les Cévennes " (ibid., p. 25). Henri Bosc, dans La guerre des Cévennes (Presses du Languedoc, 1983, I, p. 174 et note 51 p. 186) estime qu'il n'y a pas à remettre en cause le dialogue entre Séguier et du Chaila, reproduit dans les sources les plus sûres. Pourtant, Jacques Morin, dit Saltet, pasteur du Désert qui a rédigé vers 1742 une critique en règle du livre de L'Ouvreleul, destinée à Antoine Court, affirme que la proposition de Séguier a été purement et simplement forgée par le prêtre-historien, pour les besoins de la cause, et que la mémoire orale, au Pont-de-Montvert, rapporte seulement que l'abbé aurait proposé de donner sa bourse à ses assaillants, et, s'ils lui laissaient la vie sauve, de partir à Genève et de cesser toute persécution. Peut-être le nom de Genève a-t-il été saisi et interprété de diverses manières, au milieu des cris et du feu ?

Reprenons le récit de L'Ouvreleul pour en venir aux funérailles de l'abbé, que le prêtre préside à Saint-Germain-de-Calberte : " Il n'y eut personne qui ne fût attendri et ne versât des larmes à la vue du défunt quand il arriva à Saint-Germain, le jour de Sainte-Anne, porté sur un brancard, nullement changé, ayant la bouche ouverte et ses yeux fixés vers le ciel, le front un peu sanglant, avec un air de douceur qui effaçait les horreurs de la mort, en sorte qu'il semblait vivant ". Les pleurs de la foule, les yeux tournés vers le ciel, le corps en apparence intact : tous ces traits sont caractéristiques des réputations de sainteté.

Tout le dispositif, pourtant, semble confiné dans un cercle étroit, strictement ecclésiastique et littéraire. On ne sache pas que la tombe de du Chaila, placée dans l'église de Saint-Germain-de-Calberte (où il y a toujours eu un noyau catholique, proche du noyau plus fourni de Saint-Étienne-Vallée-Française), ait été l'objet d'une vénération particulière de la part des fidèles. L'Ouvreleul lui-même, lorsqu'il rédige, au début des années 1720, des Mémoires historiques sur le pays de Gévaudan, signale bien que le diocèse, même si le fanatisme l'a infecté, a donné des saints : mais il ne cite que la mère Marie-Marguerite du Villars, une religieuse morte en 1675 (et apparentée par sa mère à la famille de du Chaila !), dont il s'était fait le biographe en 1713. Les Mémoires ne contiennent même pas le nom de du Chaila.

Il faut donc attendre la seconde moitié du XIXe siècle, et la mise en place d'une nouvelle historiographie catholique particulièrement combative - même lorsqu'elle est sur la défensive, ce qui est presque toujours le cas -, pour voir renaître la mémoire de l'abbé du Chaila : une mémoire, là encore, surtout ecclésiastique et livresque. Les historiens protestants, les premiers à réagir, avaient construit autour de l'abbé une véritable légende noire : Napoléon Peyrat, notamment, avait donné libre cours dans ses Pasteurs du Désert (1842) à une imagination marquée par le romantisme, et insisté sur les prisons de l'abbé, ses ceps, ses techniques de torture (que l'ancien missionnaire aurait rapportées du Siam : tiges de roseau passées sous les ongles, etc.). Dans l'argumentaire anticlérical, les dragonnades et l'abbé rejoignent, sur un mode mineur, la croisade contre les Albigeois et l'Inquisition. Les prêtres érudits réagissent en promouvant une légende dorée. Ce sont d'abord des rééditions de textes du XVIIIe siècle. La chronique de Mingaud est rééditée en 1846, puis en 1889 (au Vigan) ; la Relation de la mort de l'abbé Langlade du Chayla, de Rescossier, est rééditée à Toulouse en 1853, le Fanatisme renouvelé, de L'Ouvreleul, à Avignon en 1868, la Relation de La Baume à Nîmes en 1874. La préface à la réédition de Rescossier parle à propos de du Chaila d'un " grand serviteur de Dieu " et d'un " parfum d'édification " (p. VI et VII). Ce sont aussi des études nouvelles, en partie suscitées par le bicentenaire de la révolte, au début du XXe siècle : en 1904, l'abbé Jean-Baptiste Couderc publie Victimes des Camisards, et en 1907, l'abbé Rouquette, L'Abbé du Chayla et le clergé des Cévennes. S'opposent désormais, comme Philippe Joutard l'a montré dans son livre classique (La légende des Camisards, 1977), les champions de l'abbé et ceux des camisards (A. Atger publie un Pierre Séguier, dit Esprit Séguier, en 1906).

De manière plus large, l'Église de France est entrée depuis 1791 dans un cycle de " persécutions " et d'exaltation de ses " martyrs " : elle pleure, ou honore, les victimes de la Révolution française, les zouaves pontificaux (des volontaires tombés en Italie, dans les années 1860, pour sauver les États du Pape), les victimes de la Commune, puis, sous le gouvernement d'Émile Combes (1902-1905), les congréganistes des deux sexes expulsés de leurs couvents et souvent contraints à l'exil. Dans ce contexte victimaire et doloriste, mais aussi violemment revendicatif (cf. l'antidreyfusisme et l'antisémitisme fonciers des catholiques), la figure de l'abbé du Chaila revêt une nouvelle importance. La tentation de la " sainteté " resurgit, y compris, et c'est nouveau, sur le plan de l'administration ecclésiastique, puisque seul l'évêque du diocèse où est mort le personnage peut ouvrir un procès informatif destiné à déboucher, éventuellement, sur le procès de canonisation. Mende a alors à sa tête, des années 1850 à la Première Guerre mondiale, des évêques de combat, souvent d'origine aveyronnaise, et qui font de la lutte contre le protestantisme cévenol une ambition centrale, même s'ils ne l'avouent pas toujours publiquement (mais ils le font, noir sur blanc, dans les rapports qu'ils laissent à Rome au moment de leurs visites dites ad limina). Ainsi le supérieur du Grand Séminaire à partir de 1881, et véritable patron du diocèse, l'abbé de Ligonnès, a-t-il échafaudé des plans pour la reconquête des Cévennes. En outre, il est le descendant collatéral de l'abbé du Chaila, ses archives familiales contenant diverses pièces ayant appartenu ou relatives à l'abbé - soulignons ici que lui-même est mort en 1926, évêque de Rodez, dans une authentique réputation de sainteté, qui n'a toutefois pas abouti. Toutes les conditions sont réunies pour un regain d'intérêt. Deux entreprises, l'une secrète, l'autre publique, sont lancées.

Dès 1883, Mgr Costes donne son autorisation pour que des fouilles soient effectuées dans l'église de Saint-Germain-de-Calberte : elles devront être secrètes et nocturnes. Les restes mortels du candidat doivent être en effet impérativement retrouvés pour la bonne marche du procès. Des ossements sont recueillis, sans certitude qu'il s'agisse de ceux de l'abbé, puisque bien des personnages ont été enterrés dans les églises, à l'époque médiévale ou moderne. En 1911, Mgr Gély nomme une commission d'information " pour rechercher s'il y a lieu d'introduire devant un tribunal ecclésiastique l'examen de la vie et du martyre de l'abbé du Chaila ". La première réunion a lieu à huis clos, dans la chambre du supérieur du Grand Séminaire (Paul Nègre, qui préside la réunion, le secrétaire étant Albert Solanet, un Floracois, professeur au séminaire). L'abbé Achille Foulquier, qui s'est fait l'historien très érudit du diocèse de Mende, est interrogé sur le bien fondé de la démarche. Il émet des réserves (" On ne peut s'empêcher de convenir que la sévérité de l'abbé du Chaila à l'égard des fanatiques rebelles fut parfois excessive ", écrit-il le 27 janvier 1911), puis se rallie. À partir du 10 juin 1914, de nouvelles fouilles sont entreprises dans l'église de Saint-Germain, toujours de nuit, par le curé Fraisse et un maçon catholique : la terre et le rocher ont été remués sur 19 m2 de surface et 1,80 de profondeur. Le 15 octobre, enfin, le tombeau construit par l'abbé du Chaila est retrouvé, ainsi que le devant d'une chasuble. Pour plus de détails, on se reportera à l'excellente biographie de Robert Poujol, L'abbé du Chaila (Presses du Languedoc, 1985, p. 248-255, réédition annoncée pour 2001). Le même auteur signale l'existence de diverses reliques ayant appartenu à l'abbé (écritoire, morceau de soutane, cilice). Il faut souhaiter que tel ou tel de ces objets puisse être montré lors de l'exposition qui aura lieu au Pont-de-Montvert en juillet 2002. Si ces recherches et commission sont secrètes, une campagne est entamée au grand jour dans la presse religieuse. L'abbé Alexis Solanet, le tout-puissant patron de la Semaine religieuse, propose dans ses colonnes, en 1901 (p. 279-281 et 523-526), qu'une biographie de l'abbé du Chaila soit rédigée, pour servir de pendant à celle d'un autre Lozérien, le jésuite Paul Ginhac, mort récemment en odeur de sainteté (et dont la cause sera plus tard officiellement ouverte à Rome). Son cousin, Albert Solanet, déjà nommé, confie en 1913 à la prestigieuse revue des jésuites (qui avaient dirigé le séminaire de Mende avant 1880), deux articles sur " Un épisode de la guerre des Camisards ". Il conclut ainsi un travail nourri aux meilleures sources, mais tout hagiographique : " Pour nous, nous rapprocherons volontiers l'abbé du Chaila du Bienheureux Pierre de Castelnau [mis par le pape Innocent IV au nombre des martyrs], assassiné par ordre de Raymond VI, comte de Toulouse, pour avoir excommunié, en sa qualité de légat du pape, ce protecteur des hérétiques albigeois. Tous deux ont été mis à mort pour leur zèle à servir l'Église attaquée par l'hérésie. Si la cause du martyre de l'inspecteur des missions des Cévennes était, selon le désir de beaucoup, évoquée devant les tribunaux ecclésiastiques, nous ne doutons pas que ceux-ci ne se laissent point arrêter par les calomnies de Court [Antoine Court et son Histoire des troubles des Cévennes], mais soient au contraire heureux de venger sa mémoire outragée pour "son dévouement héroïque" à la cause de Dieu. S'il plaisait à la miséricorde divine de ramener à l'unité de la foi, par l'intercession de l'abbé du Chaila honoré par l'Église du titre de martyr, le peuple pour lequel il sacrifia sa vie, on reconnaîtrait une fois de plus combien le Seigneur est admirable dans ses saints " (Études, 1913, p. 761).

On ne saurait être plus clair, ni plus magistral dans l'utilisation de la rhétorique et des valeurs profondes du catholicisme. La " cause " de l'abbé du Chaila, pourtant, n'est pas allée plus avant. La Première Guerre mondiale a fait vieillir d'un coup l'échafaudage imaginé par une poignée de prêtres que révulsait le cours républicain pris par l'histoire de France. En 1942, toutefois, le chanoine Bouniol, répondant à un questionnaire en vue de la réalisation d'un Dictionnaire des Missions, met en tête d'une série de biographies remarquables, celle de du Chaila : " Missionnaire [au Siam], est condamné de ce chef au supplice de la cangue. […] Rentré en France, […] il trouva une mort glorieuse, assassiné en haine de la foi, dans l'épisode des guerres de religion dite guerre des Camisards " (texte dactylographié conservé aux archives diocésaines de Mende). Mais rien ne prouve que l'Église aurait suivi les Solanet et leurs amis : un procès de canonisation est un procès contradictoire, dans lequel un " avocat du Diable " (la fonction existe réellement) s'efforce d'accumuler des documents allant contre la réputation du candidat, afin de réduire le risque de porter sur les autels une personne qui n'en serait pas digne ; il n'aurait pas été difficile de trouver, même dans les rangs du clergé, des sources ou des analyses invitant au moins à la prudence. Le procès du Père Ginhac, pour revenir à lui, n'a pas abouti, et n'aboutira sans doute jamais, tant on juge aujourd'hui inutilement rigoriste la piété pourtant irréprochable de ce directeur de conscience .

Le fidèle de l'Église catholique a pleinement le droit d'apprécier le modèle que l'Église lui tend en béatifiant ou canonisant tel ou tel être humain, et de s'en inspirer. L'historien peut se réjouir à juste titre de l'extraordinaire matériau que lui propose cette même Église : il y a une histoire, une géographie, une sociologie de la sainteté, qui en disent long sur les sociétés et les âges qui fournissent les saints, puis les proclament, parfois des siècles plus tard (Jeanne d'Arc a été canonisée en 1920). Mais le citoyen, lui, doit prêter une attention extrême à ce travail de mémoire qu'est tout procès de canonisation : la mémoire est un matériau délicat, fragile, parfois explosif, et Renan a eu raison de dire que les sociétés ont parfois besoin d'oubli autant que de commémoration. Il suffit de tourner à nouveau le regard vers l'Espagne et de poser la question: la béatification des " martyrs " de la guerre civile va-t-elle dans le sens de l'apaisement et du pardon mutuels ? Il est sage de laisser l'abbé du Chaila et les camisards aux historiens, et à leur travail, que doivent caractériser la patience, la rigueur, l'honnêteté. Les commémorations de 2002 seront, à n'en pas douter, conçues en ce sens.

Patrick CABANEL

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