L’enlèvement des habitants de Lézan

24 avril 1703
par Maguy Calvayrac

Le château de Lézan

 

LEZAN, 24 avril 1703

Sources : AD30 78 J 1 à 15 ( fonds Claris. Don de Madame Rothé-Méjean 1989, inventaire Y du Guerny 1989
AD30 C 745 : comptes des communautés, addition aux dettes, diocèse de Nîmes
Les passages en italique sont transcrits de ces deux documents

L'enlèvement de la population nouvelle convertie de Lézan nous est connue seulement par les efforts faits par Antoine Mourgue le consul catholiuque du lieu et par Domergue Genolhac hôte pour récupérer les sommes avancées à l'époque pour l'hébergement des soldats:

78 J 5
Le 24 avril 1703, Anthoine Mourgue , consul du lieu de Lézan ordonna en ladite quallité à Domergue Génolhac hoste dudit Lézan de bailler du foin et davoine au regiment de la Marine commande par M de la Jonquière qu'y arriva ledit soir à Lézan où il devait vivre au moyen de sa solde. En consequence de cet ordre Genolhac fournit du foin et lavoine audit bataillon à la somme de 51 livres 7 sols 6 deniers. Ledit Mourgue ny Génolhac ne se firent pas payer la somme par dedit officier.
En 1707, Génolhac n'étant toujours pas remboursé de ses frais assigne Mourgues devant le Présidial de Nîmes. Le jugement est rendu le 26 septembre 1707. Comme Mourgue ayant soutenu que le sieur de la Jonquière commandant ledit bataillon dit en partant du lieu, en présence de Génolhac et plusieurs autres habitants qu'il avait tout payé audit Génolhac et qu'il estait content de luy.
En 1708 , Génolhac s'impatiente et demande la saisie des biens de Mourgues, tandis qu'un nouveau consul Marguerit succède à Mourgues. Marguerit, manifeste à son tour si peu d'empressement à convoquer la communauté à délibérer que Mourgues demande la saisie des biens de Marguerit. L'affaire aurait pu rester une banale question de remboursement par la communauté d'une somme relativement modeste. Pour comparaison :la confection des remparts, leur réparation, la restauration de l'église détruite par les camisards, le logement des gens de troupe et de milice coûtèrent pour le moins 2560 livres qui furent payées avant 1707 . Mourgues, voyant ses biens menacés de saisies, ses frais de procès augmenter démesurément rédige alors une "remontrance" (cette démarche est prévue dans le serment prêté au cours de l'élection consulaire) où il avoue son rôle le jour du 24 avril 1703 :

C 745
Remontrance d'Antoine Mourgues
Dit que comme il est ancien catholique l'intendant la obligé d'estre consul dudit Lezan depuis environ vingt ans a cause que les habitants du lieu sont presque tous de Nouveaux Convertis qu'en cette qualité il a souffert des dommages tres considerables, soit parce que pour garantir sa vie, il a esté contraint d'abandonner son bien meubles cabaux et effets aux scélérats rebelles et de se réfugier en la ville d'Anduze où il a resté environ deux ans et demy avec Messieurs de Cardet et Lezan conseigneiur dudit lieu , lesquels ayant apris que Monsieur de la Jonquière quy commandait le regiment de la marine devait arriver audit Lezan pour y enlever les Nouveaux convertis malintentionnés de l'estat, le Remontrant fut persuadé de s'en aller dudit Anduze audit Lézan sous une escorte qu'y luy fut donnée où estant arrivé le 24 avril de l'année 1703 et tout le lieu estant en désordre, il feut dans l'obligation indispensable d'ordonner au nommé Ginoulhac hoste dudit Lézan de fournir le foin et l'avoine qu'y serait nécessaire pour les chevaux des officiers dudit régiment et pour ceux de M. de Fressieux, inspecteur des troupes qu'y y arriva audit lieu le même jour et qu'y avaient enlevé soixante huit nouveaux convertis.
A la suite de ce mémoire , le remontrant remet six pièces justificatives dont deux saisies, l'une sur ses biens propres l'autre sur ceux de Marguerit . Il ajoute en conclusion: Qu'il vous plaise Nosseigneurs, veu le danger et risque que le remontrant a couru, les dommages qu'il a souffert pour avoir esté contraint de s'absenter de son bien pendant deux annees et demy et que les nouveaux convertis du lieu sont obliges de supporter en leur propre tous les frais qu'y se sont faits à l'occasion des scelerats rebelles du nombres desquels lesdits parties se trouvaient , en ordonner la verification et qu'il sera procede à la repartition dyceux sur tous les Nouveaux convertis…
La réponse des commissaires, est claire:
Approuvé, Lever sans divertissement ni retardation 51 Livres 7 sols 6 deniers ;
Le surplus 225 livres contenu dans les pieces etant raye comme apparait sur l'appostille.
Fait à Montpellier pendant la tenus des Etats du Languedoc, le 28 janvier 1709
Signé Duc de ROQUELAURE, LAFARE, LAMOIGNON
Appostille : vu les pieces cette partie n'est verifiee que pour 51 L 7 s et 6 d du prix du foin et avoine fourny au detachement du regiment Royal Vaisseau avec les interets depuis le 22 décembre 1705, le surplus raye comme procedent au depens dont le sieur Mourgues consul est tenu jusqu'au jour que la commune a este appelee en garantie au propre des consuls qui ont plaide sans permission de M. de Baville.
85J 6
L'affaire ne semble pas être réglée pour autant car le 27 juin 1709, le consul en place Barthélémy Clary sollicite l'avis d'un juriste dans un mémoire qui se termine ainsi "quel chemin Clary doit tenir pour mettre la communaute dessous comme ne s'estant jamais melle dudit proces mais bien deux ou trois des principaux habitants qu'y envoyèrent eux-mêmes l'assignation et mémoire à M° Pein, procureur pour defendre la communauté, ledit clary étant illettre. En effet, le sieur Charles Rodier un des principaux habitants dressa des memoires qu'il envoya luy meme".

Quel fut le sort de ces personnes enlevées ? Il est encore mal connu. D'abord la prison Anduze, Alès, St-Hippolyte, Nîmes ou Sommières. Ensuite après un jugement sommaire, "un convoi" vers les Pyrénées Salces, les trois prisons de Perpignan embarquement à Lattes ou à Cette. On propose aux hommes valides un engagement dans l'armée, les femmes les plus obstinées seront conduites à Carcassonne. Une déportation en Amérique aurait même été envisagée.
Les prisonniers furent libérés pour la plupart lorsque les camisards rendirent les armes profitant de la grâce promise par Sa Majesté dans les négociations entre Cavalier et le Maréchal de Villars (Voir l'" Humble requête des protestants de la province du Languedoc à sa Majesté" articles II et VIII , in Mémoires sur la guerre des Camisards de Jean Cavalier, Présenté par Frank Puaux, PAYOT 1979).
A défaut de retrouver les listes complètes , bien peu de déportés ont pu être identifiés.
Antoine Massip et François Rouquet qui avaient dicté leur testament au notaire Rieu, de Mialet, dans la prison de Perpignan (ADG 2E10 1134 ou 6 Mi 2229 registre du notaire Rieu à Perpignan -introuvable à Nîmes semble-t-il !). Lorsque le camisard Jean Says (l'un des camisards "les plus fameux") se rendit le 21 août 1704, Planque fit libérer sa mère et sa sœur.

L'enlèvement, le plus doux des remèdes ?
"Un enlèvement, est le plus doux remède pour trois raisons. La première, qu'il évite l'effusion du sang des sujets et la longueur des procédures; la seconde, qu'il prévient la mauvaise volonté qu'ont les protestants depuis un temps considérable de se soulever; la troisième , qu'il assure les prêtres dans leurs paroisses, qui sans cela trembleraient toujours, se voyant environnés de leur ennemis". Ainsi s'exprime L'abbé Poncet de la Rivière, le neveu de l'Evêque d'Uzès, qui précise en outre les meilleures conditions d'un enlèvement:  "Mais surtout le secrêt est absolument nécessaire." L'Ouvreleuil en citant la lettre de l'abbé loue aussi cette pensée (Histoire du fanatisme renouvelé, Présentation et notes de P.Cabanel Presses du Languedoc 2001. Pages 209,210).
Les enlèvements de Mialet et de Saumane sont entrés dans l'histoire des Camisards. Les enlèvements de Générac font l'objet d'une rubrique de camisards.net. Les autres enlèvements procédés dans le diocèse de Nîmes sont bien moins connus. Dans le diocèse d'Uzès ils furent semblent-ils plus rares et mieux ciblés. Parmi les rares informations approximatives on relève
Louvreleuil page 112, "M. le Maréchal de Montrevel en usa de même à l'égard du peuple de la Vaunage: il fit enlever des villages entiers, qui avaient donné retraite aux rebelles ou les avaient pourvu de vivres. Huit compagnies de la Marine et six de Miquelets amenèrent à Montpellier , le Jeudi-Saint tous les habitants de trois villages, liés et attachés; on les embarqua deux jours après au Pont Juvenal, pour être enfermer dans le château de Salses.
Louvreleuil, Page 117 ."Deux notables évènements les abattirent encore extrèmement au mois de mai et les jetèrent dans un silence de désespoir:[…] le second fut l'enlèvement que M. de Montrevel fit d'un grand nombre de personnes de toute condition au diocèse de Nîmes dans vingt-deux paroisses, pour être envoyées dans les prisons de Roussillon ou dans l'Amérique sur de vieilles tartanes."
Cisalières page 149 "Julien (le père ) le plus principal habitant de Cardet est conduit à Sommières le 24 avril 1703 avec quarante habitants du lieu."
Court page 198: "Montrevel fit observer la même conduite dans la Vaunage; en un seul jour, il enleva quinze cents personnes dans vingt-quatre paroisse" se contente de résumer Louvreleuil. A noter que le pasteur du Désert Barthélemy Claris, fils du consul, qui a vécu ces évènements, n'en a pas fait le récit à son ami Antoine Court.
Outre l'information sur la procédure des enlèvements, ces sources consulaires ( papiers du consul Claris et comptes de la communauté ) montrent aussi le rôle difficile et ambigû des consuls et des notables. Rôle qui mériterait d'être mieux connu.
Maguy CALVAYRAC

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